Ouvrage paru en Février 2005

mardi

Note de lecture du journaliste Gilles Heuré (Télérama).

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Télérama, 1er juin 2005
 
Il est des livres qui demandent une attention soutenue - parce que le sujet est grave -, mais dont la probité intellectuelle qui y préside est telle qu’ils font honneur à leur auteur comme aux lecteurs auxquels ils s’adressent. C’est le cas avec cet ouvrage d’Akram Belkaïd, qui analyse l’Algérie de ces dernières années. Si celui-ci se garde de ne jamais verser dans le pamphlet, le constat qu’il dresse n’en est pas moins impitoyable. L’auteur se présente comme " un démocrate qui renvoie dos à dos le pouvoir et les islamistes, armés ou non, et qui demeure convaincu que le peuple algérien mérite bien mieux que le sort qui lui a été fait depuis l’indépendance ". Une ligne de crête qui n’est jamais une ligne de fuite, car recenser tous les maux qui déchirent l’Algérie requiert de la part de celui qui les décortique un courage physique - l’auteur a souvent été menacé - et intellectuel.

En tête des griefs, si l’on peut employer ce mot sans en adoucir le sens, figure le pouvoir : une sorte de " coterie féodale " assez délicate à circonscrire mais qui se maintient par ses pratiques : corruption, stratégies de clans, captation abusive d’une légitimité politique, violences policières. Et, surtout, par une incompétence coupable dans tous les domaines, qu’il s’agisse de la santé, de la crise du logement, des pandémies persistantes, de l’économie de " bazar ", de la gestion des révoltes populaires ou de l’absence de tout projet politique et de toute ambition pour le pays qu’il est censé diriger, dont 14 millions des habitants vivent encore sous le seuil de pauvreté. Un pays, l’Algérie, qu’une " guerre civile " a rendu exsangue, que le régionalisme morcelle et que les traumatismes engendrés par une violence érigée abusivement en mythe fondateur affaiblissent d’année en année. Un pays aussi qu’Akram Belkaïd donne à voir et à comprendre en se tenant toujours au plus près du quotidien de ses habitants. C’est le grand mérite de cet ouvrage, en effet, d’offrir des portraits qui, chacun à sa façon, qu’il soit celui d’un professeur intègre, d’un savant assassiné, d’un " frérot " barbu, d’un militaire ou d’un adolescent à la dérive, incarnent un itinéraire et un versant de la société.

Akram Belkaïd, aujourd’hui journaliste à Paris, a quitté l’Algérie en 1995, après avoir fait des études d’ingénieur et collaboré à divers journaux. Cette double appartenance, on devrait dire cette double déchirure, lui autorise ce " regard calme " qu’il revendique dans le titre de son livre. Si Akram Belkaïd dénonce sans euphémisme le machisme stérile qui gangrène encore les mentalités ou les armes à feu dont la possession traduit la terreur qu’ont ressentie les gens face aux tueries et aux faux barrages, il ne se réfugie pas dans le rôle de celui qui, du Continent, fustige son pays. Il pointe les dossiers qu’il faut régler, notamment pour que les relations entre la France et l’Algérie sortent des politesses ou des roueries diplomatiques. Les malentendus franco-algériens ne se dissiperont, affirme-t-il, que lorsque la France reconnaîtra son entière responsabilité colonisatrice, depuis 1830, et que l’Algérie dépassera le culte rouillé de sa guerre d’indépendance. Un livre qu’il faut lire pour comprendre l’Algérie d’aujourd’hui et y trouver l’espoir, entre " la gangrène et l’oubli ", de voir celle-ci trouver sa voie démocratique.

Gilles Heuré
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